L’économie circulaire : un enjeu d’avenir dans le bâtiment

Plan de l'article

Tendre vers un modèle de gestion circulaire dans le secteur du bâtiment, notamment pour les matériaux de construction, est un enjeu majeur de la transition écologique. Les acteurs du changement dans ce domaine sont nombreux et ont besoin de professionnels aux profils variés pour bâtir un modèle plus vertueux. Pour rendre les choses concrètes, nous avons échangé avec Anne-Laure Paty, cheffe de projet en économie circulaire et chargée de développement chez Cycle Up. Elle nous a parlé de son parcours, des métiers et des enjeux écologiques du secteur du BTP.

Le parcours d’Anne-Laure Paty, spécialiste du réemploi des matériaux du bâtiment

Trouver sa voie professionnelle

C’est pendant ses études en économie et gestion que Anne-Laure a découvert le secteur de l’environnement. Rapidement, elle décide de devenir cheffe de projet en économie circulaire. D’abord à son compte, puis en rejoignant la Coopérative d’Activité et d’Emploi (CAE) Coopaname à Paris. Après 3 ans comme salariée de la coopérative, elle parvient à obtenir un chiffre d’affaires suffisant pour payer ses charges salariales et patronales, tout en répondant à ses besoins personnels. A côté de sa vie professionnelle, elle s’engage auprès de l’association Zero Waste France, dont elle devient la présidente. 

Dans son activité de cheffe de projet, elle réalise différentes missions autour de la gestion des déchets de bâtiments, notamment avec un cabinet de démolition. Elle a également participé au recyclage de masques ainsi qu’à d’autres missions conjointes pour aider à la structuration de l’ESS, tout en développant ses compétences sur ces sujets. À deux reprises, elle a travaillé pour l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée. Elle a ainsi aidé cette association de réinsertion à développer des métiers liés à l’économie circulaire et la gestion des déchets sur Paris et Rennes.

Aujourd’hui, Anne-Laure travaille principalement avec Cycle Up en freelance. En tant que correspondante régionale dans l’Ouest, à Rennes, elle agit sur le plan commercial. Cette structure propose une solution globale afin de développer le réemploi dans le milieu du bâtiment. Son offre est basée sur plusieurs activités, dont la vente en ligne de matériaux de second œuvre en réemploi, issus de chantiers de bâtiment. Il y a également une prestation d’accompagnement à la réalisation de projets en réemploi.

Par son activité, Anne-Laure fait de nombreuses rencontres commerciales, réalise des devis et du suivi de missions. Elle organise et participe à des événements liés à l’économie circulaire et effectue aussi des visites sur le territoire afin de rechercher des matériaux. Elle est donc en lien direct avec les acteurs du bâtiment, les démolisseurs et les entreprises, pour trouver des matériaux de seconde main à intégrer à leurs projets.

Aligner son métier avec ses valeurs

“Ce qui m’a beaucoup aidée, c’est la force du réseau. Le fait de connaître des personnes, de travailler avec elles et d’être identifiée, c’est un peu comme avoir une certaine recommandation, les gens vous font confiance. 

Mon poste actuel me passionne. Je suis au début de la chaîne des modes de traitement des déchets (réemploi, réutilisation, recyclage, incinération, etc.). Je trouve que c’est ce qui a le plus de force et qui est le plus intéressant en terme de limitation des déchets.

L’impact du bâtiment est énorme, on arrive à réduire plusieurs tonnes de déchets émis grâce à nos missions de réemploi. Il y a aussi un côté très concret : sur les chantiers, je vois les matériaux que l’on traite. Ça me plaît beaucoup.

Mon métier n’est pas directement lié à ma formation initiale en gestion, même si je fais du développement commercial. A l’époque, je n’avais pas tous les apports techniques. Je n’ai pas suivi de formation spécifique pour autant, il s’agissait plutôt de formations en management, développement personnel et coaching pour développer mes “soft skills” (qualités personnelles). Néanmoins, on a su me faire confiance au fil de mes expériences professionnelles. J’ai découvert le fonctionnement du secteur écologique, les enjeux et structures du milieu. C’est en allant sur le terrain que j’ai développé mes “hard skills”, toutes les connaissances techniques nécessaires.”

Quels sont les enjeux du réemploi dans le secteur du bâtiment ?

Une meilleure gestion des déchets

Le secteur du BTP est le plus grand pourvoyeur de déchets en France, avec plus de 240 millions de tonnes en 2018, soit 70% de l’ensemble des déchets en France. La partie des Travaux Publics étant la plus conséquente, le secteur du bâtiment représente environ 19 % de la production de déchets du BTP.

Conformément aux directives européennes, la loi de transition énergétique pour la croissance verte a fixé un objectif de valorisation des déchets du BTP de 70% pour 2020. Un objectif quasiment atteint car il est estimé à près de 67 %. Néanmoins, ces obligations de tri ne sont pas toujours respectées par les chantiers.

“Les réglementations existent, mais les contrôles en aval ne sont pas aboutis. Tout d’abord, 5% des chantiers ne réalisent pas le diagnostic déchets qu’ils doivent normalement transmettre à l’Ademe. De plus, il n’y a pas de vérification complète entre ce qui a été transmis en début de chantier et à la fin. Enfin, les entreprises ont un planning à respecter, cela les contraint à prendre du temps supplémentaire pour les phases de tri, ce qu’elles ne peuvent pas forcément se permettre.” constate Anne-Laure.

Des lois en faveur de l’économie circulaire qui font évoluer les pratiques

En 2022, la nouvelle loi AGEC (Anti Gaspillage pour une Économie Circulaire) sera appliquée. Elle transforme le diagnostic déchets en diagnostic PEMD (Produit Équipement Matériaux Déchets).

Le récolement sera alors obligatoire, avec un diagnostic détaillé de tous les produits, matériaux et équipements, avec :

  • une partie pour la structure ou gros œuvre (les déchets dangereux, bois, bétons, verre, etc) 
  • et une partie second œuvre, dont les éléments peuvent être réemployés (luminaires, fenêtres, meubles, etc)

Cela permettra au CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment), l’organisme technique chargé de collecter ces informations, de les renseigner sur sa plateforme réglementaire dédiée au secteur de la construction et de l’aménagement.

Une cartographie sera accessible en ligne afin de répertorier tous ces gisements. Elle permettra de faire un lien direct entre les différents acteurs pour ensuite lister et commercialiser les matériaux. Il n’y aura pas d’obligation à faire du réemploi, mais le suivi sera beaucoup plus développé. 

D’après Anne-Laure, les entreprises sont déjà dans cette dynamique : “Nous recevons beaucoup de demandes de diagnostics réglementaires, même si cela n’est pas encore obligatoire ! Avec cette réglementation, l’impact carbone des matériaux n’est comptabilisé qu’une fois, lors de leur première utilisation. Ce qui rend l’utilisation des matériaux en réemploi, pour une nouvelle construction, très motivante pour les entreprises !”

Réemploi de matériaux, une économie naissante (et durable !)

Grâce au réemploi, on ne parle plus de déchets, mais de seconde vie ! Les matériaux mis à disposition représentent 56% des émissions carbone du bâtiment. Les réemployer, c’est donc diminuer l’empreinte carbone d’un nouveau bâtiment : il n’y a pas de double impact. Cela reste une économie naissante mais à termes, cela peut faire une grande différence. Le but de Cycle Up est de structurer et créer des filières de réemploi pour que les entreprises puissent se projeter. 

“De nos jours, on construit de façon à avoir un coût maîtrisé, donc nous voulons montrer aux promoteurs que nous disposons de matériaux de bonne qualité sur notre territoire, avec des contrôles et une labellisation. C’est clairement l’avenir pour le bâtiment” confirme Anne-Laure.

Une réponse pour pallier la pénurie des matériaux

Le modèle de Cycle Up s’appuie sur le digital et le flux tendu, car cela permet d’avoir une vision du territoire à un moment précis. Pour contrer la pénurie croissante de matériaux, de plus en plus d’entrepôts de stockage voient le jour, que l’on appelle des “matériauthèque”. Des acteurs de l’ESS, telles que des associations, peuvent ainsi entrer en jeu en les développant et en les mettant à disposition pour les chantiers.

Mais cela soulève des questions de logistiques, car il y a un coût. Il faut stocker ces matériaux et surtout bien les conditionner pour éviter leur dégradation dans le temps. Grâce au digital, il sera possible de référencer cela dans des catalogues en ligne afin de connaître les ressources disponibles.

Quels sont les métiers dans la gestion des déchets du bâtiment ?

Dans son rapport de 2022 “Étude sur les besoins en compétences dans les filières de valorisation des déchets du bâtiment”, le CAFOC de Nantes a réalisé une cartographie des activités et des métiers liés au réemploi de matériaux.

Des métiers d’avenir

Le secteur du bâtiment recrute beaucoup, et sur des métiers d’avenir. De nombreux postes sont ouverts mais rencontrent un problème d’attractivité, alors que les métiers de l’économie circulaire peuvent donner un réel sens professionnel. Avec le changement de réglementation et le manque de formations, ce sont des métiers sous tension. Généralement, il s’agit de profils avec un BAC+3, ayant fait des études dans le bâtiment et connaissant les caractéristiques de ce secteur.

“Démolir n’est pas la même chose que déconstruire, explique Anne-Laure. Je pense que c’est clairement plus intéressant de travailler avec un chantier, de savoir que des éléments seront réutilisés plutôt que détruits. Que l’on soit écolo ou non, c’est juste du bon sens.”

Pour les métiers en lien direct avec les bâtiments, notamment pour la démolition, les entreprises recrutent des profils de techniciens valoristes, connaissant les méthodologies de dépose sélective sur un chantier. 

Les bureaux de contrôle, comme Socotec, qui certifient que tous les matériaux mis en œuvre ont été déposés, recrutent aussi pour la partie diagnostic, juridique et assurance. Les matériauthèques recherchent des métiers de logistique ou gestion de projet, comptabilité, finance, informatique, etc. 

Les recrutements sont ouverts à tous les niveaux et de nombreux postes sont à pourvoir sur ce secteur. Pour cela, on peut se rapprocher de différents acteurs, comme Valdelia, un éco-organisme proposant une solution complète de collecte, recyclage et réutilisation de mobilier usagé, auprès de tous les professionnels et secteurs d’activités.

Même si les métiers de ce secteur peuvent être physiques, ils sont également accessibles aux femmes. Il y a une notion de qualité et de sécurité importante dans le milieu du bâtiment, notamment avec les régulations de poids de charge autorisé. C’est un vivier d’emplois très variés, par la remise en œuvre des matériaux, le suivi de chantier ou la supervision des structures.

Et chez Cycle Up ?

“Je suis arrivée chez Cycle Up en décembre 2020, nous étions 17. Aujourd’hui, nous sommes 33 salariés et des postes sont ouverts.”

Il s’agit pour la plupart de profils d’architectes ou d’ingénieurs en matériaux. Les compétences dans ce domaine sont recherchées, car spécifiques aux particularités des matériaux : savoir comment les réemployer, lire des plans ou échanger avec d’autres professionnels du milieu.

Il y a également une équipe commerciale, dont fait partie Anne-Laure, qui gère toute la partie logistique de la plateforme et la relation clientèle. 

Les profils sont aussi très variés pour la partie opérationnelle, pour les chantiers et diagnostics. Ce sont des postes importants dans le secteur de réemploi. Par exemple, le diagnostiqueur permet de photographier et répertorier tous les matériaux d’un bâtiment disponibles au réemploi, d’établir leur état et dimensions. Toutes les informations récoltées permettront d’établir la méthodologie liée aux matériaux (dépose, stockage, conditionnement, chiffrage, etc.). Il y a également le suivi de chantier : il s’agit de conducteurs ou ingénieurs de travaux, au cœur des chantiers et des dépôts.

“Nous travaillons principalement avec des promoteurs et des structures institutionnelles. Il peut s’agir de régions ou de villes, de clients du milieu associatif comme la Maison du Zéro Déchet, voire des SCI familiales très intéressées pour l’achat de matériaux sur la plateforme.” 

Y a-t-il des formations spécifiques dans ce secteur ?

Il existe une formation de technicien valoriste, mise en place par la structure Noria et Compagnie, située à Redon en Bretagne. Celle-ci propose des formations professionnelles dédiées à l’écoconstruction bioclimatique et aux matériaux bio-sourcés. Une session de formation a récemment ouvert en Ile-de-France et une autre est en projet dans le sud du pays. 

Les régions proposant ce genre de formations sont des interlocuteurs à privilégier car elles peuvent contribuer au financement des apprentissages. L’Ademe peut également apporter une aide financière sous certaines conditions, et propose aussi des formations et colloques pour monter en compétences sur leurs sujets.

“Certains MOOC sont orientés sur les formations de réemploi, notamment pour les architectes. J’en ai moi-même suivi un sur le thème du bâtiment durable, mais j’imagine que les écoles d’architectes abordent ces sujets à travers des spécialités.” ajoute Anne-Laure.

Les conseils d’Anne-Laure pour réussir sa transition

“Ce n’est pas toujours facile de se lancer à son compte, on fait face à nos doutes, mais on peut compter sur la force et le dynamisme du réseau. Il est tout à fait possible de travailler conjointement avec un.e autre indépendant.e pour monter en compétences, c’est d’ailleurs ce que j’ai fait. Chacun apprenait de l’autre en répondant à des missions sur lesquelles nous n’aurions pas pu nous positionner seuls.

Il ne faut pas avoir peur d’acquérir une première expérience pour se mettre dans une démarche. Souvent notre syndrome de l’imposteur s’éveille mais il faut savoir se faire confiance. 

Et il n’est pas forcément nécessaire d’avoir fait de longues études en ingénierie par exemple. La plupart des métiers sont accessibles même avec des études généralistes et il est possible d’apprendre des choses par la suite. En revanche, certains métiers nécessitent un savoir particulier pour les métiers techniques, comme architecte ou ingénieur. 

Je pense que l’on a tendance à se poser trop de questions, il faut être dans l’action. Par exemple, j’ai travaillé un an sur des sujets liés à la finance verte mais cela ne me correspondait pas. C’est justement en côtoyant ce secteur que je m’en suis rendue compte. C’est pour ça qu’il est important de ne pas avoir peur de se lancer dans différentes expériences. Cela permet de voir différents horizons et de déterminer ce qui nous correspond vraiment. Vous pouvez découvrir des métiers par des stages, des petits emplois, ou des associations.

Le statut d’auto-entrepreneur est un bon moyen de se lancer car il est facile à mettre en œuvre. Mais je me suis rapidement donnée l’ambition de basculer en coopérative car je sentais que cela ne me convenait pas. L’important est de se fixer des objectifs, surtout sur le plan financier.

Cela permet d’orienter ses missions, d’en refuser certaines et de s’imposer sur certains travaux. C’est en ayant une stratégie et en étant suffisamment ambitieux que l’on arrive à atteindre ses objectifs. Que vous soyez en recherche d’emploi ou indépendant, il faut se faire confiance, être suffisamment exigeant et s’imposer.

Personnellement, j’ai un niveau de rémunération équivalent à celui de ma vie d’avant, par contre je m’organise comme je veux, je ne travaille pas à temps plein et je suis autonome.”

Liens et ressources sur le sujets

  • Articles et chiffres de l’ADEME:

Merci Anne-Laure pour ton témoignage ! 

RDV sur le site de Cycle Up pour en savoir plus. Nous avions également réalisé le portrait d’Anne-Laure en 2019, où elle nous parlait de sa transition professionnelle.

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