Il y a quelques semaines, Caroline Prat, journaliste à RCF, m’a proposé de venir parler d’éco-anxiété dans son émission “Commune Planète”. Douze minutes, c’est un peu court. En rentrant chez moi, sur mon vélo j’ai mouliné : “ah mince j’ai oublié de parler de ça”, “zut j’aurais pu formuler ça comme-ceci…” Bref. J’ai souhaité vous proposer un complément pour structurer quelques pistes de réflexion et d’action. Mais aussi vous aider à trouver plus de sérénité face à l’éco-anxiété que vous pouvez ressentir.
Qu’est ce que l’éco-anxiété ?
La toute première définition (1996) la présente comme “un mal-être identitaire dans un contexte de bouleversements environnementaux ». Être éco-anxieux, ce serait ressentir une peur persistante face au changements brutaux écologiques qui s’annoncent. Toutefois, la plupart des spécialistes aujourd’hui s’accordent à dire que le terme d’anxiété n’est pas si juste. Il évoque un état troublé, lié à une pathologie (que l’on serait tenter de soigner avec des pilules, alors qu’il s’agit de prendre soin du monde).
Or, les « éco-anxieux » ne sont pas des gens malades. Ce sont des gens lucides ! Lucides, sur les crises climatiques et sociétales que nous traversons. Lucides, sur les conséquences de celles-ci (cf. les différents rapports du GIEC/IPBES). Les éco-anxieux sont sensibles au monde qui les entoure et perçoivent les problématiques de climat de façon systémique. Autrement dit, ils comprennent que le problème est complexe et enchevêtré. Pour mieux comprendre, je vous invite à vivre une Fresque du climat.
“Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être bien adapté à une société malade.” Jiddu Krishnamurti, penseur indien
Je préfère donc vous parler d’éco-lucidité. Quelle que soit la terminologie employée, l’idée à retenir est surtout que : face à la menace des transformations écologiques et sociales à venir, s’instaure une peur, souvent accompagnée d’une crise existentielle (aussi appelée perte de sens). Cette peur peut, c’est d’ailleurs souvent le cas, générer un sentiment d’impuissance, d’incapacité à agir.
Et quand dans nos jobs, l’impaxiété prend le dessus…
Dans mon travail de coach, j’ai pu observer des situations qui présentaient ces caractéristiques :
- un sentiment de détresse, de désespoir ou d’impuissance
- lié aux enjeux climat et sociaux
- qui empêche la compréhension
- qui pousse à fuir ou éviter la situation
- qui enlève toute raison d’agir
- qui crée le sentiment de ne pas pouvoir faire face, de n’avoir aucun impact.
J’ai appelé ce phénomène l’impaxiété (impact + anxiété). Et c’est précisément là que je mets beaucoup d’énergie dans mes interventions. Comment redonner de l’espoir, de l’envie et de la capacité à agir, aux individus et aux équipes, malgré l’éco-lucidité ressentie ? Ce n’est pas évident, et je n’ai pas toutes les réponses.
La démarche est à la fois empirique, sur-mesure, et s’appuie le plus possible sur des recherches et avancées dans divers domaines (neurosciences, psychologie, conduite du changement, psychologie-sociale, éducation positive…). Je commence à repérer de grands schémas et vous en partage une courte synthèse, dans l’espoir que cela vous donne des pistes pour gagner en sérénité.
Comment mieux vivre avec son éco-lucidité ? Pistes et astuces pour (un peu) plus de sérénité
Comment passer des états sidération, tétanie, blocage, à des états plus fonctionnels (qui me permettent de vivre mon quotidien) ?
Piste 1 : Accueillir les émotions qui nous traversent
Dans notre expérience de l’éco-lucidité, on trouve toute une palette complexe et riche d’émotions humaines (colère, peur, tristesse, culpabilité, résignation, surprise…). On peut ressentir chacune d’entre elles de manière plus ou moins forte. Je vous invite à regarder la roue des émotions, et vous demander si, en pensant aux sujets sociétaux et environnementaux, vous ressentez telle ou telle émotion.
A quel moment ressentez-vous quelle émotion ? Sur quel sujet en particulier éprouvez-vous plutôt de la colère ?du découragement ?de la peur ? ou même de la joie ?
Prendre un temps d’introspection personnelle vous permettra de mettre à distance “la peur ou la résistance” à ressentir une émotion jugée désagréable ou gênante, et vous donnera une autorisation à l’entendre vous dire, ce qu’elle a à vous dire.
Piste 2 : Oser, lâcher prise
Après la sidération vient souvent la colère (selon la courbe du deuil de Kübler Ross), qui nous permet de nous mettre en mouvement. A quel prix pour notre qualité de vie ? L’idéal est de viser l’apaisement. La sérénité. Se dire qu’à son échelle, on fait tout ce que l’on peut, et qu’on le fait avec plaisir, passion, joie, amour. Comment j’entame les changements dans ma vie avec joie ? Apprendre à lâcher prise sur ce qui ne dépend pas de nous, c’est s’autoriser à gagner en sérénité. C’est difficile, mais nécessaire.
A ce sujet, je peux vous proposer plusieurs outils, à piocher selon ce qui vous parle.
Outil 1 : Sélectionnez consciemment vos périmètres d’actions
Listez les choses sur lesquelles vous avez tendance à ruminer, à vous inquiéter. Pour chaque point, répondez à ces questions :
- Est-ce que j’ai le contrôle sur cette situation ? Si oui, que puis-je faire pour améliorer la situation ?
- Si je ne mets pas en place cette action, quels en sont les risques ou les conséquences ?
- A l’inverse, si je ne peux rien dans cette situation, quels sont les risques et les conséquences d’y mettre de l’énergie ?
- Comment je trouve la balance entre les actions à mon échelle et les actions collectives pour lesquelles je peux m’engager, mais dont je ne suis pas le/la seul.e responsable : sur quoi je dois lâcher prise, et sur quoi je peux- je veux et je dois agir ?
Outil 2 : Offrez-vous des temps de pause par la méditation ou encore la cohérence cardiaque.
Le simple fait de respirer en conscience permet à votre système nerveux de se réguler, et de mieux gérer les moments de crise. Vous trouverez pleins de petites applications pour pratiquer des méditation guidées ou de la cohérence. Prêt.e.s à tenter ?
Piste 3 : Choisir en conscience ses sources d’informations, et les moments d’apprentissage
Commencez-vous la journée en lisant les drames du monde ? La forêt brûle, des hommes sont condamnés à mort, la biodiversité décline… Quelle énergie cela nous laisse pour la journée ?
Moi, si je fais ça, je commence la journée en larmes silencieuses. Et si je réponds franchement, cela me donne très envie de rester dans mon canapé et lire une BD qui parle de tout, sauf du monde ou pire encore, de zoner sur Netflix.
J’ai choisi de ne jamais commencer une journée par l’actualité. A la place, je regarde le soleil se lever sur le Vercors (ça peut être sur Montmartre ou ailleurs, selon votre choix d’habitation). Je m’en émerveille, chaque jour. Quel est le petit truc qui vous permettrait de vous connecter au Monde, de façon positive ? Qu’est-ce qui vous fait ressentir de la gratitude, d’être simplement là ? Commencez votre journée ainsi ! Vous aurez au moins les 15 prochaines heures, pour le reste. Et au moins, vous commencez avec un élan optimiste ou de l’entrain.
Un autre point à mon sens, c’est de choisir (la quantité et la qualité) la nourriture intellectuelle que vous allez ingérer dans la journée. Personnellement, je suis abonnée à la newsletter de Vert (j’apprécie le ton, la synthèse) et à quelques autres. J’écoute beauuuuucoup de podcasts sur mes temps de marche (quand je vais chercher ma fille notamment). Je peux vous suggérer Chaleur humaine, Émotions, par exemple. Bref je m’informe, mais je ne me sur-informe pas.
Avec mon degré de sensibilité et ma capacité à me disperser (vous n’imaginez pas à quel point cet article aurait pu être beaucoup plus long), je me noierais dans un flot d’informations tristes, et il ne me resterait que peu de temps et d’énergie à consacrer à être, ou faire, pour la Planète ! 🙂
Et vous ? Quel niveau d’information vous permet d’en apprendre assez pour comprendre les enjeux tout en conservant de l’énergie et du temps pour le reste ? Quel(s) média(s) vous parle(nt) ? Podcasts, newsletter, articles, livres, films… Chacun pourra doser à sa juste mesure. Et si vous loupez un jour un scoop, est-ce si grave ?
Piste 4 : Parlez de son éco-lucidité autour de soi
En en parlant à d’autres, vous allez vous rendre compte que vous n’êtes pas seul.e.s ! Déjà, ça fait du bien ! En osant en parler, vous ouvrez aussi le champ des possibles à ceux qui peuvent ressentir la même chose et n’ose pas le dire (par peur de déranger, de casser l’ambiance…).
Mettre en mots les maux, c’est commencer à en prendre soin, à les écouter, leur donner une réalité dans la matière, dans le concret. Enfin, c’est aussi un bon début pour commencer à réfléchir ensemble, à ce qui serait faisable, désirable, pour faire à plusieurs.
Piste 5 : Incarner ses valeurs clés dans son quotidien
Pour réduire au maximum la dissonance cognitive que peut créer l’éco-lucidité en vivant dans le monde actuel, je vous invite si ce n’est pas déjà fait, à incarner pleinement vos valeurs en intégrant des changements de comportement au niveau de votre quotidien (végétaliser son alimentation, limiter les transports en avion, favoriser les trajets en train ou transports doux, tendre vers la sobriété et le zéro déchet…). Quels sont, sur la totalité des sujets d’éco-lucidité, les 2 ou 3 thèmes qui vous parlent le plus ? Et demandez vous comment vous pourriez être plus en cohérence avec ceux-ci ? Quel pas est à votre portée dès aujourd’hui ? Dans un mois, 6 mois, un an ?
Piste 6 : Aligner son job à ses convictions
Vous avez déjà mis beaucoup de choses en place dans votre vie personnelle ?Pratiquez régulièrement la méditation et le lâcher prise ? Avez déjà commencé à travailler l’acceptation de vos émotions ? Il est encore possible de gagner sur le terrain de la sérénité en alignant votre activité professionnelle à tout ce que vous faites déjà.
Saviez-vous que l’on passe environ 80 000 heures de notre vie au travail ? Et si, chacune de ces heures était au service de la régénération du vivant et non de sa destruction ? Si sur cette question vous semblez perdu.e, n’hésitez pas à contacter Mon Job de Sens, pour un bilan de compétences, en individuel ou en collectif.
Piste 7 : Choisir ses combats, faire confiance aux synergies collaboratives
Nous avons tous une réserve d’énergie et une charge mentale limitée qu’il faut pouvoir recharger. L’un des risques, quand on veut s’engager pour le climat, c’est la diversité des sujets qui nous parlent et pour lesquels on se dit “qu’on devrait vraiment faire quelque chose”. L’un des risques, c’est le sur-engagement, qui peut mener au burn-out. Oui, collectivement “on doit” vraiment faire quelque chose.
L’idée que je vous propose d’embrasser ici, c’est d’accepter de déployer de l’énergie sur 1 à 3 champs d’actions, et y consacrer l’envie, l’énergie, le temps que vous souhaitez y consacrer. Pour les autres sujets qui vous tiennent à cœur, faisons confiance au collectif, à tous ces autres, comme nous, qui sont intéressés par milles sujets, et qui en auront eux-aussi, choisi 1 à 3 à adresser directement. Réjouissons-nous, des réalisations et avancées de nos partenaires qui œuvrent sur ces thématiques sur lesquelles nous-même, nous ne pouvons consacrer le temps et l’énergie.
Piste 8 : Faire parti d’un collectif
“Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin !” Cheminer avec d’autres, c’est s’assurer de rompre la solitude des monologues intérieurs déprimants et partager avec des pairs ses questions existentielles, et des moyens d’agir. Alors, il est peut-être temps pour vous, de rejoindre une association, un collectif, un bureau de parents-d’élèves, un tiers-lieu… ?
Est-il souhaitable de se protéger contre l’éco-anxiété ?
L’éco-anxiété ou éco-lucidité, c’est une façon de se préparer à s’adapter. C’est commencer un deuil sur nos modes de vie actuels, et se projeter dans un futur que l’on sait fondamentalement différent. En cela, c’est déjà positif !
Imaginez que vous êtes en mer, vous voyez une énorme vague qui approche (peut-être même certains ne la voient pas, ou ne veulent pas la voir). Vous pouvez la laisser venir se casser contre vous. Le choc sera violent, et brutal. Ou bien, vous pouvez accepter que la nature est plus grande que vous, et embrasser le mouvement de la vague.
Peut-être que vous serez pris dans un tourbillon tumultueux (mais vous aviez eu le temps de prendre votre respiration, voire d’apprendre à nager en eaux troubles !), et à un moment donné, vous remontez à la surface pour respirer, reprendre des forces. Jusqu’à la vague suivante.
J’aime imaginer que les éco-lucides seront préparés au fait que les vagues seront puissantes. Ils auront mis une combinaison pour rester le plus au chaud possible, ils auront pris des cours de natation ou d’apnée, ils auront appris à apprécier le rayon de soleil sur leurs joues quand ils remonteront respirer.
On ne se protège pas des peurs liées aux questions écologiques et sociétales ; mais on se protège soi-même pour garder le cap, on se prépare pour trouver du plaisir à vivre dans un monde autre.
Comment transformer nos peurs en quelque chose de positif ?
Si je lâche prise sur ce sur quoi je n’ai pas de pouvoir d’action (le monde va changer), que j’incarne mes valeurs dans mon quotidien et mon activité, je peux commencer à accueillir le fait que vivre autrement, cela peut aussi être une belle opportunité de bonheur ou de sérénité.
Notre société occidentale nous promet un bonheur construit sur la prédation de ressources. Le marketing et ses dérivés nous invite à rêver de toujours davantage de biens. Et si, par un travail de déconstruction minutieuse nous pouvions rebâtir les récits de nos futurs, et se promettre à nous-même un bonheur dans l’être voire dans le faire ?
Je vous en propose quelques-uns à la volée :
- repenser le rapport au travail, la quête d’ascension dans la pyramide de l’entreprise
- repenser l’intégration de la parentalité dans le quotidien, pour les mères et pour les pères
- repenser le monde éducatif et les lieux d’apprentissages
- repenser nos modes de consommation, d’alimentation, de production, de loisirs…
C’est vertigineux ? Oui… alors autant s’y mettre dès maintenant ! 🙂
Et si, nous nous reconnections à nous-même, aux autres, et au Monde ?
Plus vous remplacerez les récits dominants par des récits positifs, plus vous serez convaincu.e.s, que le bonheur ou la sérénité peut s’y trouver. Pour cela, laissez-vous inspirer par celles et ceux qui l’ont déjà fait ! Vous pouvez écouter le podcast Relations, de mon amie et consœur Aurélie Sutter, ou lire les fiches inspirantes de 2030 Glorieuses. Ils l’ont fait, pourquoi pas vous ?
Vous pouvez aussi prendre la poudre d’escampette ! Osez un voyage (même proche de chez vous le temps d’un week-end), et rencontrez d’autres façons de faire, de vivre. Collectez les pépites qui vous parlent, qui vous inspirent, qui vous donnent envie ! L’objectif : se dire que c’est possible, de vivre bien, autrement. Se dire que c’est possible, de trouver de la joie, même dans un changement imposé.
Plus nous serons nombreux à entamer ce travail de construction des imaginaires, plus ces imaginaires deviendront communs, normaux, désirables… pour recréer des possibles. Finalement, c’est aller questionner nos habitudes, nos croyances sur ce qui est enviable, et chercher dans notre cœur ce qui nous semble juste pour nous aujourd’hui, et juste pour nos enfants demain. En coaching, on peut appeler cela un travail sur les peurs, ou les croyances limitantes / croyances aidantes. Vous pouvez le faire vous-même, ou demander un accompagnement.
Enfin, en incarnant tous ces changements, vous rayonnez à votre tour un “je-ne-sais-quoi” qui donne envie aux autres de s’y mettre aussi. Nul besoin de sortir le bâton pour les culpabiliser. Nul besoin de sermonner les uns et les autres aux fêtes de fin d’année, ou de tenter de convaincre quand vos interlocuteurs semblent coincé.e.s dans le rejet. Vivez pour vous.
Silencieusement, cela peut faire l’effet magique de diffuser une autre image du bonheur et de l’épanouissement. Dans les esprits de ceux qui parfois, peuvent vous mettre en colère, se plantera peut-être aussi la graine d’un changement, qui poussera au gré des saisons, un peu grâce à vous.
— Lien vers l’émission de Radio sur l’éco-anxiété —