Delphine, plaidoyer pour un avenir sans pollution plastique

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Plan de l'article

Afin de vous aider à trouver le job de sens qui est fait pour vous, des heureux travailleurs ont gentiment accepté de partager un bout de leur histoire…

Peux-tu te présenter ?

“Je m’appelle Delphine, cela fait 6 ans que je fais du plaidoyer chez Zero Waste Europe, à Bruxelles. Je suis notamment devenue la coordinatrice et cofondatrice du mouvement international Break Free From Plastic.”

En quoi consiste le métier de plaidoyer ?

“L’essentiel du plaidoyer est de convaincre des décideurs institutionnels ou politiques d’agir. Lorsque j’étais en France, il s’agissait principalement de missions nationales, sur des propositions de loi du gouvernement. Il y avait également du travail auprès du ministère de l’Écologie, autour de négociations avec les parties prenantes (entreprises, collectivités, ONG) au sein du Conseil national des déchets.

Je m’adresse aux personnes les plus privilégiées de la société (éducation, couleur de peau, genre, absence de handicap, situation professionnelle, etc.). J’utilise ces privilèges pour défendre les intérêts de ceux qui en sont privés et ne peuvent le faire seuls. Je fais le maximum pour défendre une idée parce que je sais que cela aura un impact positif sur la vie de nombreuses personnes.

Le plaidoyer, c’est aussi saisir ou créer des opportunités pour faire passer des messages. Il faut savoir repérer et traiter des sujets stratégiques à développer pour que des réglementations soient mises en place.

Ce fut le cas notamment avec l’économie circulaire, évoquée pour la première fois dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, en 2015. Il a fallu tirer profit de ce nouvel engouement pour développer ce sujet et capter l’intérêt des personnes avec de l’influence.

Pour moi, le plaidoyer est lié à deux éléments :

  • Le relationnel : en utilisant notamment ses contacts et ses ressources pour défendre une cause. Ce que je trouve important, c’est le fait de créer avec d’autres personnes, seule cela aurait été difficile, voire impossible. Cela implique donc un bon sens du relationnel, savoir motiver les collaborateurs et les investisseurs dans le développement d’un projet. 
  • La stratégie : savoir bien présenter ses idées avec de bons arguments est aussi important. Apporter son soutien auprès de ses relations permet de mieux développer des stratégies.”

Qu’est-ce qui te plait dans ton métier ?

“Il est primordial de savoir ce qui est important pour soi. Avec mon expérience, je pourrais avoir un poste de direction dans une grande ONG, mais ça ne m’intéresse pas. 

Ce que j’aime, c’est la capacité d’agir rapidement, de m’investir sur des sujets que je trouve pertinents et que personne n’a encore développés. Je fais aussi beaucoup de management et de coaching auprès de nos équipes, je leur demande ce qui est important pour eux. J’apprécie aussi être sur le terrain et au contact des gens pour voir l’impact de mon travail.

Aujourd’hui, j’ai un rôle de coordination. Je manage une équipe de 6 personnes, donc je passe beaucoup de temps sur d’autres missions avec des responsabilités différentes. Les postes peuvent évoluer et j’essaye de redéfinir le mien pour déléguer certaines tâches et me concentrer sur d’autres.”

Où peut-on travailler dans ce domaine ?

“À mon arrivée chez Zero Waste Europe, nous avions une équipe de 4 personnes. Aujourd’hui, nous sommes 25. Il existe de nombreux endroits où plaidoyer, à vous de définir quels intérêts vous voulez défendre !

Plusieurs voies existent pour arriver à votre objectif. Vous pouvez : 

  • rejoindre des ONG, des entreprises au sein du service relations publiques, des collectivités ou des régions 
  • travailler pour un.e député.e national.e ou européen.ne, un.e sénateur.rice, le maire d’une commune, un.e conseiller.e municipal.e
  • devenir consultant.e en relations publiques
  • faire du pro bono pour des startups dans un domaine à impact qui vous intéresse, leur proposer une réflexion autour du développement de leurs intérêts auprès de décideurs locaux, etc. 
  • ou même entrer dans une structure sans qu’elle ait un poste proprement défini 

Personnellement, j’ai eu la chance de commencer auprès d’une petite organisation en mutation. J’ai pu façonner un poste à mon image dès le début. Il est important d’identifier les organisations avec du potentiel, que ce soit une ONG ou une entreprise, pour créer, apprendre et se former.”

Est-il nécessaire de suivre une formation ?

“Personnellement, j’ai étudié à Sciences Po, où j’ai suivi des cours de lobbying, mais j’ai surtout appris sur le terrain. Dès lors que l’on doit convaincre quelqu’un que notre idée est la meilleure, on fait du plaidoyer politique, même si c’est indirect.

Ce n’est pas le nom de la compétence qui est important, c’est la compétence elle-même. Il faut simplement comprendre comment on l’a développée et mobilisée dans sa vie personnelle et professionnelle, car elle était appelée autrement et dirigée vers d’autres cibles.

Lorsque j’enseignais le plaidoyer à l’université, j’expliquais à mes étudiants que nous en faisons depuis notre plus jeune âge sans nous en rendre compte. C’est simplement que le terme “plaidoyer” n’est utilisé que dans un contexte professionnel et politique. Mais si vous souhaitez vous faire une place dans ce milieu, vous possédez forcément déjà des compétences que vous pouvez mobiliser.”

Peux-tu nous parler du mouvement Break Free From Plastic ?

“Le but du mouvement est de réduire massivement les plastiques à usage unique et trouver des solutions durables à la crise de la pollution plastique. Aujourd’hui, il regroupe de nombreuses organisations, avec des coordinations régionales et nationales sur tous les continents. Depuis son lancement en 2016, plus de 11 000 organisations et sympathisants individuels du monde entier ont rejoint le mouvement !

Nos membres sont alignés avec nos positions et la volonté de travailler ensemble pour être plus forts !

Ainsi, nous traitons les questions autour des déchets plastiques dans l’environnement, et principalement dans le milieu marin (les déchets marins résultent essentiellement d’un problème de gestion des déchets terrestres).

En 2016, il y a eu une prise de conscience sur l’impact de la pollution plastique dans les pays du sud, notamment en Asie du Sud-Est. Certains les rendaient responsables de la pollution des océans. D’autres pointaient le consommateur directement. En parallèle, des entreprises revendiquaient la construction d’incinérateurs en Asie comme solution pratique. Avec le réseau GAIA (Global Alliance for Incinerator Alternatives), qui met en œuvre des démarches zéro déchet et dont nous faisons partie, nous nous sommes penchés sur ce sujet.

Notre idée, en créant un mouvement international, était de s’aider les uns les autres. Notre première mission était de sécuriser les politiques européennes ambitieuses, notamment sur le plastique à usage unique. Nous avons donc créé une coalition d’ONG européennes qui travaillent exclusivement autour de la pollution plastique. Au début, on nous disait que la population n’était pas prête à un mouvement aussi radical, mais 3 ans plus tard, une directive sur le sujet a vu le jour et a très vite été adoptée.

Tout ce qui a été réalisé avec les villes et les entreprises zéro déchet nous permet de démontrer aux décideurs politiques qu’il y a des solutions à développer et des emplois à créer à tous les niveaux.”

Quels sont les enjeux autour du plastique ?

“Dans les pays d’Asie du Sud-Est, il y a peu de régulations sur la production d’emballages, sur le financement de la collecte et la gestion des déchets. Les structures de traitement de déchets ou les filières REP (Responsabilité Élargie Producteur) sont des mécanismes qu’ils ne connaissent pas.

De plus, une grande partie des déchets marins là-bas vient de l’exportation de déchets des pays du Nord, pour recyclage (près de 3 milliards de tonnes !). Ces déchets ont moins de valeur et sont difficiles à recycler. Ils sont donc envoyés là où les contrôles et les réglementations sont moins sévères.

Au final, le problème ne vient pas uniquement de la mauvaise gestion des déchets, mais bien de la conception de produits et emballages, des chaînes de logistique et de la responsabilité des entreprises et des Etats.

La quasi-totalité du plastique est créée à partir de ressources fossiles (hydrocarbures), en plus des produits chimiques ajoutés pour répondre à certaines propriétés (couleur, transparence, solidité, résistance aux températures…). Cela impacte les travailleurs et les habitants vivant près des installations et des puits d’extractions.

À ce propos, le film “The story of Plastic” explique très bien l’impact que cela peut avoir sur ces populations locales, au niveau de la pollution de l’air, des eaux et des sols. Il y a donc un enjeu dans la préservation de la santé de ces personnes et celle des consommateurs.

Il est important de prendre en compte la façon dont ces produits sont conçus, distribués et consommés car il y a beaucoup de gaspillage. Il est clair que si cela avait été mieux gérés dès le départ, nous n’aurions pas autant de pollution plastique.

Depuis les 20 dernières années, nous avons produit autant de plastique qu’entre les années 50 à 2000, principalement à cause du plastique à usage unique. Cette accélération de la production intervient au même moment que le développement dérégulé de l’exploitation des gaz de schiste aux Etats-Unis. Au départ, le plastique n’est qu’un sous-produit des gaz de schiste. Mais très vite, il devient une des raisons principales à leur exploitation, car il permet de produire une matière première peu chère. Il s’agit alors de trouver des débouchés pour utiliser ce plastique. 

Il est donc important de comprendre que la problématique de la production de plastique ne vient pas de la demande des consommateurs, mais bien de l’offre. Tant qu’on extrait du gaz et du pétrole, et que le plastique reste un débouché rentable, les producteurs continueront à mener des stratégies commerciales agressives pour développer la production de plastique et son utilisation dans des secteurs de marché qui ne sont pas encore saturés.”

As-tu rencontré des difficultés durant ton parcours ?

“J’ai beaucoup de chance je crois, ou du talent, ou les deux, mais je n’ai pas connu beaucoup d’échecs dans ma vie professionnelle. Ou plutôt, il a dû y en avoir plein dont je n’ai pas conscience, parce que je n’y fais pas attention ! En général, les échecs n’en sont pas vraiment, ce sont des leçons pour faire mieux la fois d’après.

Je préfère donc me focaliser sur ce qui est à venir. J’investis beaucoup de temps et d’énergie dans mes projets, et les textes de loi les plus importants sur lesquels j’ai travaillé ont été adoptés avec ambition. 

C’est un travail qui prend du temps. Récemment nous avons obtenu un mandat concernant un traité international sur le plastique, sur lequel je travaillais depuis 5 ans. Il prend en compte toute la chaîne de valeurs et pas seulement la pollution plastique des océans. En revanche, avec l’arrivée de la pandémie, j’ai cru que toutes nos avancées allaient s’effondrer avec le retour des produits à usages uniques (masques, gants, etc) qui n’étaient pas forcément recyclés.

C’est important d’avoir une vue d’ensemble, d’avoir suffisamment confiance en soi pour se lancer dans des projets que l’on juge stratégiques. Je dis souvent que je n’ai pas le temps de douter, ce qui ne m’empêche pas de garder l’esprit ouvert face aux remarques et conseils de mes collaborateurs, pour mener à bien mes missions. 

J’ai beaucoup travaillé sur ces questions-là ces dernières années parce qu’il a fallu le faire. Je me suis retrouvée dans une situation que je n’avais pas envisagée, avec des challenges extraordinaires par rapport à ma situation (âge, compétences, position, etc). Il a fallu que je mette de côté toutes les incertitudes et critiques envers moi-même pour avancer dans mes projets.”

Que manque-t-il selon toi pour faire avancer les choses ?

“Je pense que les incitations économiques ne sont pas assez fortes pour que les grandes entreprises transforment leurs modes de production et de distribution.

Au niveau européen, il manque des politiques en faveur de ceux qui développent des solutions et luttent contre des réglementations ou des contextes économiques qui favorisent les grandes structures.

Zero Waste Europe a facilité la création d’un groupe d’intérêts d’entreprises, pour tous les porteurs de solutions sur le réemploi. L’objectif est de défendre les intérêts des petites entreprises qui ont ce sujet au cœur de leur business modèle, auprès des institutions européennes. À termes, nous voulons créer un contexte plus favorable au déploiement des solutions et continuer à mettre en œuvre des politiques ambitieuses pour limiter l’usage unique du plastique ou d’autres matériaux.

Le problème est que les chaînes logistiques, principalement transfrontalières, n’ont pas de système de gestion pour les emballages réutilisables d’un pays à un autre. L’idéal serait de standardiser les emballages et d’obtenir des systèmes similaires par catégories de produits européens.

Nous créons des politiques de réduction de la production et nous mettons en place des conditions à la production avec des réglementations environnementales, des taxes sur l’import et l’export, une contribution climat, etc. Nous réfléchissons également aux moyens d’interdire certains produits chimiques dans les produits afin de maximiser la récupération de matériaux et leur recyclage. Il en va de même pour les types de recyclage (chimique ou classique), l’incinération, la minimisation du gaspillage et la mise en place d’un système de consigne.”

Un conseil à ajouter ?

“Demandez-vous ce qui vous nourrit, ce qui vous motive le matin et ce que vous avez envie de faire. Pour moi c’est justement la partie plaidoyer, parce que je suis directement en contact avec des personnes qui ont le pouvoir de faire changer les choses.

C’est important pour moi de connecter les sujets et les personnes, voir ce qui les touche en utilisant certains arguments. Il ne faut pas avoir peur de parler des sujets qu’on ne maîtrise pas forcément, avoir confiance en soi et en ce qu’on dit. En quelque sorte, j’ai toujours créé mes postes, j’étais dans des boîtes suffisamment flexibles où j’ai pu créer la place qui me convenait. Cette liberté de créer est très importante pour moi.”

Un grand merci, Delphine, pour ton témoignage !

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